LE TAOISME ET LES PRATIQUES


Musique et rythme seraient sans doute les expressions les plus fiables pour approcher le cœur de la Tradition taoïste. Peut-être aussi le regard du bébé humain lorsque son intention se pose sur nous et nous oublie ensuite.

Tout commence par un jeu de lumière et d’ombres :

-          La lumière pour le bonheur qui vient avec la vie, « le projet du Ciel » à notre égard. C’est de la légèreté.

-          Les ombres sont des séquences émotionnelles reçues en héritage, des instruments qui jouent faux et pourtant indispensables pour parvenir à la symphonie.

   Volonté de pouvoir, désirs d’accaparer, d’assujettir, besoin de 

   reconnaissance : c’est toujours du poids.

 

A partir de là, se programment des capacités d’avenir très différentes :

-          La domination de l’ombre : la vie est perçue ici et déroulée comme la répétition d’un même scénario et le changement de lieux ou de partenaires n’y changera rien. On  blesse et on s’y blesse.

    La lumière est toujours là, au fond du cœur, mais le mode d’emploi         

   fait défaut.

-          La volonté de transformation : elle suppose l’affrontement de l’ombre et le travail sur soi. Cela implique la réponse à deux questions : qu’est-ce que je veux vraiment ? Quelle est ma place et qu’est-ce que je suis prêt à lâcher, à vider pour y parvenir ?

-          La Transformation, en chinois, évoque l’idée de fleurissement. Il s’agit non pas de gommer les émotions mais de ne pas se faire avoir par elles. Ce qui motive la transformation n’a rien de moral, de mystique ou de philosophique ; ce qui justifie le premier pas sur le chemin, c’est le pressentiment d’une grande joie, d’une grande beauté, d’une grande liberté, d’un grand plaisir, bien sûr !

-          Aucune Tradition n’a  le monopole du lumineux, mais elles peuvent nous aider à grandir plus facilement, plus rapidement, nous aider à trouver ce qui est déjà en nous.

 

Il y a une spécificité taoïste, c’est l’importance et l’urgence des pratiques. C’est rêver le taoïsme que de le concevoir en dehors des pratiques.

 

I – LA PRATIQUE DE LA RELATION JUSTE

 

 La relation juste, c’est la capacité de produire, d’exprimer dans une situation, une relation donnée, seulement ce qui convient et pas plus.

 L’idéogramme évoque l’idée de sacrifice, de retenue. Ainsi dans l’ensemble du système de relations il faut apprendre à cultiver « le souffle de l’invité », à être prudent « comme celui qui traverse le gué  d’une rivière en hiver ».

Il y a ici une méfiance envers un comportement fondé sur l’amour ; l’ombre peut utiliser l’amour et générer séduction et malentendus.

On ne peut que donner mais tant qu’on n’est pas totalement lumineux et céleste, il faut veiller à la sobriété du don et du mouvement qui va à la rencontre. C’est l’innocence de l’intention qui est essentielle. Quant  à la compassion elle doit être d’abord orientée à notre bénéfice personnel ; la pauvreté véritable, l’étrange obscurité de l’être c’est que la beauté qui est partout, depuis toujours et à jamais ne puisse être perçue par mes yeux et mes oreilles. Cette pauvreté ou cette richesse là est partagée par tous, SDF ou PDG.

La relation juste, c’est aussi le respect de deux exigences incontournables, l’opportunité et la mesure. La réussite d’un acte, d’une décision qu’elle soit individuelle ou politique se joue là, dans le juste moment et la juste intensité de l’expression.

Le maître ici est le rythme saisonnier, il suffit d’imiter la nature. Ce qui est important pour la terre, c’est que l’été et l’hiver surgissent au bon moment, ni en avance, ni en retard ; il en est de même pour les passages à l’action, les décisions.

Il y a aussi une leçon à tirer des printemps et des automnes, les saisons intermédiaires ; ici, c’est la mesure, l’intensité qui est prise en compte. Le vent joue un rôle essentiel dans la résurrection des fibres végétales, le vent, oui, la tempête, non. Il s’agit de maîtriser les excès de tout comportement.

De même, la dessication en automne, le sacrifice des feuilles permet le retour et la protection de la sève dans le centre de l’arbre.  A l’extrême, la sécheresse totale détruit tout. Que l’on s’adresse à son partenaire ou que l’on modifie la taxe sur les carburants, il faut toujours appliquer des règles de jardinier : agir au bon moment et avec parcimonie.

 

II – LA PRATIQUE DU QI

 

C’est la reconnaissance de l’énergie racine de l’univers et des vivants. Nous traduisons Qi par énergie ou par souffles. Cela est approximatif mais ce n’est pas très important. Les chinois ont passé peu de temps à définir et à analyser ce qu’ils appellent le Qi ; par contre, depuis des milliers d’années ils ont rassemblé des techniques pour le percevoir et l’utiliser. Toutes les pratiques chinoises, de la peinture au Qi Gong en passant par l’écriture s’enracinent dans le travail du Qi. Ce dernier est le chef d’orchestre de chaque battement de cœur, de chaque mouvement respiratoire, de chaque geste quotidien ; il commande également tout le mouvement saisonnier.

L’expérimentation du Qi n’a rien de magique. Les maîtres de Qi Gong la présentent comme une science , une autre logique du vivant. Il faut se garder d’être présomptueux et de tout juger à partir de sa culture. La vie est toujours plus riche que les outils que nous possédons pour la comprendre et notre compréhension est souvent une réduction.

La conception taoïste du vivant, du corps notamment, peut légitimer notre curiosité, notre intérêt. Le corps est aussi culturel et dans la perception occidental nous ne le percevons guère que lorsqu’il souffre ou jouit ; deux extrêmes de sensation.

Modifications chirurgicales, transferts d’organes, clonage de peau, toutes ces manipulations fines dont est capable notre science pour parer à l’angoisse du vieillissement voire de la mort participent toujours du corps-machine.

Pour ceux qui peuvent être tentés de suivre un  autre chemin, il serait sans doute opportun de poursuivre la recherche taoïste, ne serait-ce que pour cette affirmation que se maintenir en vie longtemps et en belle et bonne santé, ce n’est pas encore être vivant.

Tous ceux qui travaillent le Qi Gong depuis de nombreuses années en suivant les directives et l’enseignement traditionnel ont un point commun, le constat que nous savons peu de choses, mais que la conception du corps sur laquelle nous travaillons est aussi complexe que la logique biochimique occidentale. Lorsqu’on constate qu’une intention mentale peut induire des mouvements énergétiques complexes dans le corps ( semblable au trajet ouvert par l’aiguille d’acuponcture), qu’une main est capable de provoquer, de renforcer à distance les sensations de l’autre main, que chaque phalange peut avoir une saveur énergétique différente, etc… on est obligé de se poser la question de savoir ce qu’est une main et par extension une interrogation semblable sur le corps.

 

Peut-être faudrait-il, comme des générations de chinois avant nous se contenter d’éprouver le plaisir du corps vivant sans vouloir percer les secrets ultimes du mécanisme.

 

III – LA PRATIQUE DU NATUREL (ZIRAN)

 

Ici la pratique évoque une conformité exemplaire aux phénomènes naturels et saisonniers. Ce que nous appelons habituellement le temps (succession d’heures et de cycles) est rassurant et commode, mais il a peu de place ici. La pratique du Qi Gong comme celle du Rituel traditionnel, nous amène à vivre chaque moment, chaque saison, chaque année comme une compénétration de souffles qui nous emportent dans un enfantement, une gestation continue. L’univers est une seconde matrice ou tout est joie et se rencontre dans une libre communication.

Ceux qui pouvaient vivre cela, à l’aube du taoïsme, étaient moins intelligents que nous et leur pensée mettaient moins d’écrans entre la nature et leur regard. En chinois, le simple, le brut signe toujours l’authentique.

Comment saisir la joie de l’oiseau qui pressent et vit la montée du soleil rouge dans la nuit qui persiste encore ? Surtout si à peine éveillé la tête est déjà saturée de souvenirs et de projets.

L’envol de la pensée, les maîtres taoïstes la pressentait et la redoutaient. Ils craignaient qu’un jour arrive où  « nous pourrions toucher à ce qui est plus grand que nous ». Nous y sommes.

La capacité de s’harmoniser énergétiquement, émotionnellement aux quatre saisons est affaire de pratiques et il est difficile d’en dire davantage ici.

 

La méditation taoïste s’enracine également dans les souffles des jours et des saisons ; elle est ritualisée.

Dans le souffle d’automne, elle est retour sur soi, récolte-bilan.

La lettre au père Noël commence ici, on l’enverra plus tard. On l’enverra aux souffles d’hiver. Si le travail a été bien fait, si on a été sage, on aura plus qu’à attendre l’action du ciel qui se manifestera infailliblement au solstice. Travail de jardinier qui en fin de compte prépare sa terre pour le retour de l’influx céleste et de nouveaux enfantements.

L’objectif des pratiques et de la méditation taoïste n’est pas de permettre une plus grande efficacité, une plus grande performance. Il ne s’agit pas de reprendre du poids pour gagner à l’extérieur mais de vider, de s’alléger pour gagner à l’intérieur et percevoir enfin que « la chose la plus importante dans la vie  c’est la vie elle-même ». C’est dans ce sens que l’on peur dire qu’il y a dans le cœur de l’homme une fleur de lotus qui n’est pas encore ouverte. Il s’agit toujours d’être heureux avec ce que nous possédons déjà. Ce bonheur, ce projet du ciel reçu dès la conception, nous sommes libre de le refuser ; on peut chercher toute sa vie des pâquerettes dans la forêt même s’il n’y en a pas.

Dernier point : la recherche en elle-même n’est pas suffisante surtout si elle reste une simple disposition d’esprit, un discours.

C’est pourquoi il est dit que ceux qui cherchent le Tao sont aussi nombreux que les poils de la vache et que ceux qui le trouvent sont aussi rare que la corne de la licorne.

N’oubliez pas votre lettre au Père Noël.